REPRENDRE UNE ENTREPRISE “A LA BARRE DU TRIBUNAL” : KESAKO ?

La crise actuelle liée au COVID-19 est inédite. D’un point de vue économique, elle met en péril l’activité de nombreux fonds de commerce. Au titre des entreprises rencontrant de grandes difficultés, nous pensons immédiatement, aux entreprises ayant fait l’objet d’une interdiction administrative d’accueil du public comme les bars, les restaurants, les entreprises dans le tourisme mais aussi beaucoup d’autres impactées directement par la pandémie.

Malgré les mesures d’urgence mises en place visant à préserver la trésorerie des entreprises (création du Fonds de solidarité, recours massif au chômage partiel pour éviter les licenciements économiques, report des échéances sociales et fiscales, etc.), les professionnels des entreprises en difficulté prédisent une vague inouïe de « dépôts de bilan » dans les mois qui arrivent. En effet, ces mesures créent de la nouvelle dette dont les perspectives de remboursement sont déjà compromises.

Le traitement de la dette existante impliquera donc de mettre en œuvre des solutions de cessions judiciaires, qui constitue la voie la plus efficace pour assurer la continuité de l’activité sans avoir à supporter le poids de la dette.

En effet, il est essentiel de conserver à l’esprit que l’ouverture d’une procédure collective par l’ancien dirigeant va avoir des conséquences importantes immédiates notamment le gel de toutes les dettes contractées par la société avant le jugement d’ouverture de la procédure.

Ceci implique que l’entreprise aura l’interdiction de régler les dettes antérieures mais qu’elle sera tenue de régler toutes les dettes postérieures au jugement d’ouverture. Les dettes passées seront réglées de manière échelonnée, sur plusieurs années, ce qui va permettre à l’entreprise de respirer de nouveau.

Compte tenu de ce que nous avons précisé avant, racheter une entreprise « à la barre du tribunal » deviendra de plus en plus courant et peut tenter beaucoup de repreneurs. Toutefois, il existe beaucoup de confusion autour de cette notion.

L’article vise à vous expliquer, en termes intelligibles, cette notion. Plus précisément, nous vous expliquerons la distinction entre deux opérations bien différentes (mais souvent confondues par les novices) que sont la reprise en plan de cession et la reprise isolée d’actifs.

ETAPE 1 – COMPRENDRE LA DISTINCTION ENTRE LES DEUX VOIES DE REPRISE A LA BARRE

Quand il est question de reprise d’entreprise, il convient de distinguer deux types d’opération :

  • la reprise d’une entreprise à l’occasion d’un « plan de cession ». Dans ce cas-là, l’entreprise que vous projetez d’acheter a été placée en redressement judiciaire (et éventuellement en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité) et est donc toujours en activité.

Dans l’hypothèse où l’équipe dirigeante en place ne parviendrait pas à restructurer l’entreprise (absence de plan sérieux de continuation), des tiers acquéreurs auront alors la possibilité de reprendre cette entreprise.

L’objet de cette reprise consiste donc à ce que l’entreprise poursuive son activité entre les mains d’un nouveau dirigeant/associé.

  • la cession isolée d’un ou plusieurs actifs détenus par la société défaillante. Dans ce cas-là, l’entreprise placée en liquidation judiciaire (contrairement au premier cas, où elle est simplement en redressement judiciaire). Concrètement, la liquidation judiciaire est prononcée par le tribunal lorsque l’entreprise n’est plus viable économiquement et que son redressement s’avère impossible. Ici, l’entreprise a donc cessé toute activité. Le liquidateur judiciaire vend alors tous les actifs qui composaient cette entreprise, on dit qu’il « réalise l’actif » afin de payer, dans la mesure du possible, les créanciers de l’entreprise liquidée.

Dans le cadre de cette opération, il sera alors possible de reprendre le fonds de commerce dans son intégralité (en ce compris le droit au bail, enseigne, stock, marchandises, clientèle etc.) voire de racheter l’un de ces éléments, de manière isolée (par exemple, reprendre le seul droit au bail de la société liquidée).

Vous l’aurez compris, ces deux opérations recouvrent des réalités juridiques et pratiques bien différentes, que nous détaillerons ci-après.

A- Caractéristiques de l’opération de rachat « en plan de cession »

Le projet du repreneur consiste à reprendre une entreprise en activité, placée en redressement judiciaire mais qui ne parvient pas à être restructurée par l’équipe dirigeante en place.

Le candidat repreneur formulera ce qu’on appelle « une offre de reprise » devant répondre aux 3 objectifs suivants :

  • Sauvegarde de l’emploi ;
  • Maintien de l’activité ;
  • Apurement (au moins partiel) du passif (donc des dettes de l’entreprise).

Cette offre sera présentée à l’administrateur judiciaire dans le délai qu’il a lui-même fixé. Pour être valable, elle doit contenir un certain nombre d’éléments, indispensables pour apprécier le sérieux de la proposition de reprise tels que :

  • Désignation précise des biens, droits et contrats inclus dans l’offre ;
  • Prévisions d’activités et de financement ;
  • Prix proposé pour la reprise ;
  • Nombre d’emplois repris et ceux qui devraient être licenciés etc.

Bien évidemment, en complément de ces éléments-là, le candidat repreneur devra joindre un dossier de présentation afin de prouver son sérieux.

Attention : une fois déposée, cette offre de reprise ne pourra être ni retirée ni modifiée SAUF à l’améliorer. L’amélioration de l’offre devra intervenir au plus tard 2 jours ouvrés avant l’audience devant statuer sur l’offre de reprise à retenir.

Lorsque le candidat repreneur prépare et dépose son offre auprès de l’administrateur judiciaire, il ignore totalement le prix proposé par ses concurrents. Il faut ici comprendre que l’administrateur judiciaire établira un rapport pour présenter les différentes offres, et émettra un avis sur l’offre la plus pertinence à retenir.

Il reviendra ensuite au tribunal de choisir le repreneur. Le juge choisira le candidat qui présentera les meilleures garanties et qui répondra aux 3 critères listés ci- avant (sauvegarde de l’emploi/maintien de l’activité/apurement du passif).

Ce qu’il est essentiel de garder à l’esprit, c’est qu’il s’agit ici de reprendre une entreprise en activité, avec tous les contrats en cours mais aussi les salariés, étant précisé que c’est l’offre de reprise qui détermine le nombre de poste repris. Cela ne s’improvise pas.

Une attention particulière doit être prêtée au transfert de la charge des prêts de financements pour les biens cédés, assortis d’une sûreté spéciale (nantissement du fonds de commerce ou hypothèque d’un immeuble). Cette règle, fondamentale, que nous allons expliquer ci-après est prévue à l’article L642-12 du Code de commerce alinéa 4.

D’après cet article, si le fonds de commerce, objet du plan de cession, fait l’objet d’un nantissement par un établissement bancaire (ce qui arrive très fréquemment, par exemple lors le cessionnaire a contracté un prêt bancaire pour l’acquisition de ce fonds et que la banque a pris un nantissement sur ce fonds en guise de garantie), et qu’il reste des échéances à régler en raison du prêt bancaire, celles-ci devront être réglées par le repreneur.

Plus précisément, ce transfert de la charge du prêt contracté par le dirigeant initial interviendra uniquement si le crédit en question a été souscrit pour l’acquisition du bien ou ses travaux de rénovation. Ce transfert de la charge de ces échéances sera effectif au jour du transfert de propriété de l’entreprise, prévu à l’acte de cession.

Compte tenu de ce qui précède, avant de formuler une offre, il est impératif de vérifier si des sûretés ont ou non été prises sur le bien en question. En pratique, nous vous conseillons de lever un état des nantissements (site infogreffe.fr) et/ou de vérifier si des hypothèques ont été prises sur le bien immobilier.

En fonction de la réponse à cette question essentielle, le montant de votre offre devra être ajusté (justement pour prendre en compte le montant des mensualités du prêt restant à régler).

B- Caractéristiques de l’opération de cession d’un actif isolé de l’entreprise

Comme précisé en préambule, en présence d’une société liquidée, il est possible pour le repreneur de reprendre l’intégralité des éléments composant le fonds de commerce ou bien seulement un actif isolé de ce fonds (dans ce cas, les autres éléments du fonds de commerce seront vendus à d’autres repreneurs).

Par exemple, le droit au bail peut être cédé seul. Concrètement, avec cette reprise, vous reprendrez le bail en cours, en vous substituant à l’ancien dirigeant. A ce stade, un audit approfondi du bail commercial que vous vous apprêtez à reprendre doit être réalisé. Seront analysés notamment :

  • Le terme du bail ;
  • Le droit au renouvellement de l’ancien locataire ;
  • La clause de destination du bail afin de vous assurez que vous serez en mesure d’exercer l’activité projetée ;
  • Le montant du loyer ;
  • Les éventuelles clauses de solidarité etc.

Ici, la reprise ne concerne que les actifs de la société liquidée, par exemple un bail commercial, la marchandise à l’exclusion de tous les autres contrats.

Il y aura naturellement aucun contrat de travail à reprendre car tous les salariés auront le cas échéant été licenciés par le liquidateur judiciaire.

ETAPE 2 – TROUVER LES ACTIFS EN VENTE

Dans les deux cas, pour identifier les opportunités de reprise, vous pouvez consulter le site cnajmj.fr qui répertorie de manière quasi-exhaustive la liste des actifs en vente.

Vous pouvez également vous rapprocher des tribunaux de commerce ou bien consultez les journaux d’annonces légales (comme par exemple Les Echos du vendredi).

Puis, une fois que vous aurez sélectionné une opportunité intéressante, vous pourrez alors prendre contact avec l’administrateur judiciaire (dans le cas d’un plan de cession) ou avec le liquidateur judiciaire (dans le cas d’une reprise isolée du droit au bail).

Nous pouvons bien évidemment vous assister dès cette étape afin de sélectionner le fonds de commerce qui correspondra au mieux à vos attentes en matière de localisation, d’activité etc.

ETAPE 3 – LES MODALITÉS PRATIQUES COMMUNES A CES DEUX MODES DE REPRISE

  • Financement

Nous vous précisons ici un point essentiel : vous devez disposer de la somme au comptant, et ce d’autant plus que cette vente n’est assortie d’aucun délai de rétractation ni de conditions suspensives.

Le repreneur doit donc disposer d’une somme d’argent, immédiatement disponible (pas d’emprunt) d’un montant au moins équivalent à son offre. Le règlement se fait par chèque de banque.

  • Indépendance du repreneur

La loi impose un critère d’indépendance du repreneur. Concrètement, cela signifie que le repreneur ne devra avoir aucun lien direct ou indirect avec l’ancien dirigeant.

En d’autres termes, et sauf exception, la reprise de l’entreprise ne pourra pas être réalisée par l’ancien dirigeant ou ses affiliés.

  • Rédaction de l’acte de cession

La dernière étape consiste à rédiger l’acte de cession. Cette rédaction doit être confiée à un conseil avisé car il devra comporter certaines mentions obligatoires.

Dans les deux cas, l’acte de cession devra faire l’objet d’une publicité (formalité de publicités légales).

Afin de vous prémunir de toute mauvaise surprise, il est indispensable d’analyser l’ensemble des contrats transmis (en cas de plan de cession) ou bien le seul droit au bail (en cas de cession du seul droit au bail).

Compte tenu du nombre important de règles à respecter, nous vous conseillons de vous faire accompagner lors de votre projet de reprise par un avocat spécialisé dans ce domaine.

Des questions ? N’hésitez pas à nous contacter.

L’équipe YM AVOCATS

ymavocat.fr

linkedin.com/company/42883658

Recent Posts

Leave a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Scroll to Top